
La censure n’est pas toujours un gage de qualité, mais elle l’est souvent. Interdit à Oman et au Koweït, le dernier livre d’Abdelaziz Baraka Sakin est un chef-d’œuvre caractérisé par un terre-à-terre caustique qui vous fera rire aux larmes, pleurer aussi, réfléchir intensément, mais aussi fantasmer. En un mot, vivez. Et il est très difficile de s’en rendre compte, puisqu’il est vrai“une histoire rapportée, c’est un peu comme un vieux repas, ça a un goût différent, un arôme différent, sans rapport avec le goût d’origine”. Essayons cependant.
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Le noyau historique de l’histoire est 1896, l’année du bombardement britannique de Zanzibar, pendant la guerre la plus courte de l’histoire.” la guerre de trente-huit minutes. Unguja est l’île “béni par Dieu”, “L’Andalousie de l’Afrique” comme son dernier sultan, Suleiman bin Salim, aimait l’appeler. Mais le récit déborde de ce carcan temporel, et l’auteur lui-même, en remarquant son premier chapitre, invite son lecteur à sacrifier toute investigation historique. Laissons l’étymologie de Zanzibar, zanj-i Bar, “Terre des Noirs”. Laissons également Leopard Tippo Zip, ce chef négrier omanais : l’une des caractéristiques persistantes du roman est de ne pas minimiser la traite négrière musulmane transafricaine. Peu importe que le titre de princesse soit inspiré de Salima Bint Saïd (1844-1924), une sultane réfugiée en Allemagne. Car “Le roman ne s’intéresse pas à l’histoire, il s’intéresse à l’homme”. Et l’homme se développe dans le conseil. Seuls les mythes ont des parfums de rose et d’or. Lui seul brille comme l’ivoire et l’opale.
Caractère rabelaisien
Ce roman est donc un petit bijou qui déconstruit les codes qu’il propose. Tantôt roman historique, tantôt psychologique, tantôt conte philosophique, tantôt culotté : chaque page illustre la maîtrise de l’auteur, qui se résumerait à tort à “une voix d’Afrique”. Car il déconstruit aussi les arguments pour une littérature africaine : “Le baobab était le réceptacle des secrets, de l’histoire et de la spiritualité… Ils y enregistraient aussi les grands événements qu’ils voulaient souligner au moyen d’un dessin ou d’une trace.”, il a dit. Et l’instant d’après il annule cette magnificence avec une ironie prosaïque et toute voltairienne : “Il [Sundus, le héros bien peu héroïque courant après le fantôme de sa verge coupée] ne comprenait pas la plupart des symboles gravés sur le bois, et de plus la lumière n’était pas idéale pour lire les détails les plus précis. »
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Il ne serait pas plus approprié de ramener ce travail sur le thème de la colonisation. Français, Anglais, Arabes, Belges et même combattants de la liberté sont renvoyés à leur bêtise et à leur monstruosité. Qui tabourets et chaînes, qui démasque et sculpte. Le sultan n’est que l’excroissance de la pourriture historique. C’est un personnage rabelaisien censé avoir vécu plus d’un siècle, jusqu’au 12 janvier 1964, date de la Révolution de Zanzibar : « Au cours de sa vie, sans qu’il soit possible d’en définir la durée avec certitude, il a tué 883 Africains, 7 Arabes omanais et 20 Yéménites. Il a décimé tous les grands animaux qui vivaient encore à Unguja, y compris les girafes, les éléphants, les tigres et les lions. Il a vendu 2 779 670 esclaves, hommes, femmes et enfants. Il s’est accouplé avec 300 esclaves et a laissé échapper environ 15 litres de sperme dans leurs vagins. Il a donné naissance à une fille. Et comme il aimait aussi faire l’amour aux garçons, il leur a versé l’équivalent d’un gallon de sperme, si bien que les enfants africains et arabes d’origine modeste continuaient à surveiller leurs fesses… Il a mangé 70 tonnes de viande, de légumes et d’herbes produit 30 tonnes de merde sous forme de diarrhée ou autre. Il a pissé l’équivalent de 10 000 litres de liquide toxique. »
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Seul Uhuru, le chanteur d’Unguja, reste sans tache, le seul personnage dont on ne trouve aucun équivalent célèbre ou anonyme dans la réalité ou dans l’histoire. Parce qu’Uhuru est swahili pour “liberté”, la liberté de l’esclave émancipé, de la fille en fuite, la liberté d’aimer et la liberté de créer. Toutes ces petites libertés ne sont que des étincelles à la grande liberté flamboyante de l’auteur, qui viole l’histoire pour en faire de beaux enfants – et Princesse de Zanzibar est l’un d’eux.
Abdelaziz Baraka Sakine, La princesse de ZanzibarÉditions Zulma, 355 pp., 22,90 €